Qui cherche trouve !

Un dimanche matin, l’idée me vient de prospecter dans le passé. Répondre à la question toute simple : où suis-je né ? A Agadir, je le sais. Dans le quartier Lbatoir, oui, je le sais aussi. Mais dans quelle maison ?

Je cherche dans mon répertoire le nom de quelqu’un de l’entourage qui a encore l’âge de savoir. Hassan est surpris d’apprendre que cela m’intéresse. 

Il en profite pour me raconter l’histoire d’un norvégien avec lequel il a eu à travailler dans les années 80 à Agadir. Ce norvégien dont le père avait vécu quelques années dans cette ville tenait à retrouver la maison de son père. Hassan avait fini par la trouver dans le vieux quartier de Founti (près de la zaouia du saint Sidi Boulknadel). Le norvégien n’a rien trouvé de mieux que de dépecer l’escalier de la maison, en retirer une marche, avec son carrelage traditionnel, et l’emporter chez lui. Un bout d’Agadir est donc installé quelque part dans ce pays si lointain.

Hassan n’a pas le temps de m’accompagner ce dimanche. Il m’indique l’endroit où je pourrais trouver ce que je recherchais.

Il me donne quelques indications. En face de la place des taxis, dans les ruelles qui bordent des maisons qui ont toutes le même plan. Elles ont toutes survécu au tremblement de terre. Certaines ont été transformées. Mais le quartier ne l’a pas été.

Hassan avait douze ans quand mon père était en prison où il a passé trois mois avant d’être jugé puis exilé à Igherm. Pour faits de résistance, tient-il à préciser en ajoutant que c’était lui qui ramenait en prison le manger préparé par ma mère.

Je raccroche et me dirige vers le quartier indiqué. 

Comment s’y retrouver ? J’arrête un homme vêtu d’une fouquia qui avait l’air avenant et lui pose quelques questions. Il se prête au jeu. Il est plus âgé que moi. Il pourrait donc se souvenir. Mon nom de famille ne lui est pas inconnu. Le nom de celui qui était tout le temps avec le roi ? J’acquiesce. Mais il s’agit de son frère qui habitait dans ce quartier. Non, il n’en a pas souvenir

Par contre, il connaît quelques personnes, encore vivantes, qui pourraient savoir. 

Notre interlocuteur s’arrête et nous signale que l’une de ces personnes était justement en train de traverser la placette. Il l’interpelle. Le monsieur n’hésite pas à venir vers nous, tenant à la main droite un sac en plastique contenant une baguette.

Nous le mettons au courant de nos recherches. Il commence par nous prévenir. Il a tellement bougé que sa mémoire n’est pas en très bon état. Comme son corps d’ailleurs, dans lequel 4 vertèbres dorsales sont en fer !

Il est né dans ce quartier et il y est revenu après avoir beaucoup bourlingué. Il a passé 22 ans aux Etats-Unis. Il travaillait dans le port de Boston. Ses enfants sont restés là-bas. Je n’ai pas osé lui poser la question du pourquoi. Mais il ne se souvenait pas de quelqu’un qui portait mon nom. A ma naissance, il vivait dans le quartier, il avait 12 ans mais ne se souvenait pas. Son anglais est parfait. Il repart avec sa baguette en nous souhaitant bonne chance.

Notre premier interlocuteur ne pouvait plus nous tenir compagnie dans nos recherches. Il doit se rendre à la mosquée pour la prière du Dohr. Mais il nous montre quand même la maison de quelqu’un qui pourrait savoir, il est le plus âgé du quartier : Ammar est son nom. Un ancien joueur de football de l’équipe Hassania.

Je frappe à la porte, une dame ouvre sur un intérieur soigné. Sa tête n’est pas couverte. Elle nous écoute puis nous informe gentiment que Ammar son père n’est pas présent. Elle n’a rien à nous dire sur le sujet. Je lui demande de lui laisser un message écrit et lui demande un bout de papier. 

Elle rentre le chercher et revient la tête couverte, avec une feuille de cahier d’écolier à la main. Je prends mes précautions et demande si son père savait lire. Bien sûr, me répond-elle, il était instituteur.

Je me saisis du papier et écris un message, avec toutes les informations utiles en la priant de remettre le message à son père à son retour. Elle a promis.

J’attends la réponse. Si elle ne vient pas, j’irai la chercher de nouveau. Et si je ne la trouve pas, je trouverais autre chose !

La réponse est venue. Ammar m’a rappelé pour me dire qu’il ne se souvenait pas du tout de cette personne dans le quartier.

Le doute s’installe. Je fais ce que je ne voulais pas faire. En effet, quelque chose me retient, m’empêche d’aller fouiller dans la mémoire paternelle. Je me décide à consulter le journal que tenait mon père de son plus jeune âge jusqu’à sa mort.

En tournant les pages, je tombe sur un passage écrit en novembre 1945, à l’âge de 31 ans, dans lequel il faisait mention de ses quatre objectifs dans la vie : Un logement décent ; un travail stable ; une bibliothèque pleine de livres et l’indépendance du pays.

Plus loin, dans le journal, j’arrive à l’année de ma naissance. Et là je découvre qu’en fait, quand ma mère m’a mis au monde, mes parents ne vivaient plus à Agadir. Ils étaient déjà installés à Moulay Driss Zerhoun depuis un an et demi. Ma mère n’était à Agadir qu’en visite de sa fille déjà mariée. 

La sage femme qui m’a retiré du ventre de ma mère était portugaise et s’appelait Mme Torres

Dans son journal, mon père explique la raison pour laquelle il m’a donné mon prénom. Il exprime son espoir de me voir ressembler à son idole, le célèbre auteur égyptien qui était en visite au Maroc. 

Sitôt dit, il se réjouit déjà de son futur poste de travail à Amizmiz qu’ils rejoignirent avec le nouveau bébé. 

A la fin de sa vie, trop courte, 24 ans après les avoir tracés, ses quatre objectifs étaient atteints. Dix-neuf ans plus tard, ma mère succombait des suites de la même maladie qui avait emporté son mari. Elle ne tenait pas de journal. Sa version des choses est restée orale, ma mémoire n’en a pas gardé grand-chose. Elle n’a pas eu le droit de s’instruire, mais elle a appris à se construire.