Illettrisme, de quoi es-tu le nom ?

L’illettrisme ?
La définition la plus commune est l’incapacité de déchiffrer un texte simple.
Mais si on veut être plus précis, un illettré est quelqu’un qui, bien qu’ayant été scolarisé, est incapable de maîtriser la lecture et/ou l’écriture d’un texte simple.

L’illettrisme est un mal qui existe dans tous les pays du monde, même les plus développés. Mais comme pour le chômage, le problème n’est pas que le mal existe mais son ampleur, ses conséquences et les remèdes que l’on déploie pour l’affronter.

L’illettrisme c’est l’injustice, la frustration, le blocage économique, la désespérance sociale, la déperdition d’énergie et de moyens, le gâchis …

Voici une retranscription de témoignages oraux de deux jeunes représentatifs de milliers d’autres qui souffrent de ce mal.


Je suis un jeune marocain de 22 ans.
Je viens d’obtenir mon diplôme.
J’ai maintenant une licence en sciences économiques.
Après 16 ans d’études, j’ai enfin atteint mon objectif.
Mes parents sont contents et fiers. Je suis le seul membre de ma famille à avoir atteint ce niveau d’études.

Je me mets à la recherche de travail.
Je ne trouve pas de travail.
Je me mets à accuser les entreprises et l’Etat de ne pas vouloir me recruter.
Je passe les concours et je ne réussis pas.
Je suis au chômage.
Mes parents ne comprennent pas.
Ils pensent encore qu’un diplôme c’est la clé de l’emploi, de l’argent, du bonheur.

Je rencontre les diplômés comme moi qui veulent que je m’engage avec eux dans la
revendication d’un emploi de fonctionnaire. Mais je n’en vois pas l’utilité.
Je m’interroge.
Je fais une rencontre.
Quelqu’un qui m’emmène dans un centre pour jeunes.
Je fais une découverte qui me remplit de désolation.

Lorsqu’on me demande de lire un texte de trois lignes en français, je me rends compte que je ne sais pas lire.
Je me bats et j’arrive difficilement à lire le texte affiché sur l’écran.
Mais je ne comprends pas ce que je baragouine.

La réalité apparaît clairement dans ma tête. Je suis un jeune marocain de 22 ans, licencié en sciences économiques et je ne sais pas lire dans la langue avec laquelle j’ai obtenu mon diplôme. J’ai fait semblant d’ignorer, on ne m’a pas dit, que l’économie et la gestion et tout ce qui tourne autour ne se pratiquent qu’en français.
Qui est responsable ? Moi. Certainement.
Mais je ne suis pas le seul responsable.


Je suis une jeune marocaine de 23 ans.
Après mon bac, mes parents ont accepté de m’inscrire dans une école supérieure privée.
Ils ont payé durant cinq ans.
J’étais contente à l’idée d’avoir un diplôme reconnu par l’Etat, dans des conditions
meilleures que dans les facultés.
J’ai bien sûr décroché un diplôme en audit, finances et comptabilité. Des disciplines qui allaient m’ouvrir l’accès au travail.

A la fin de ces études, je ne me sentais pas capable d’aller à la recherche de travail.
Je rencontrais des difficultés à rédiger une lettre de motivation.
J’en avais honte. Je me sentis vide.

J’ai rencontré un ami qui m’a amenée dans un centre d’appui aux jeunes.
Et c’est là que j’ai découvert la supercherie.
J’ai fait des études de cinq ans en français et je ne pouvais pas m’exprimer en français, ni oralement ni par écrit. Je me rendis compte que je n’ai aucune maîtrise de la langue arabe non plus.

Durant mes cinq années d’études, je subodorais l’arnaque. Mais j’étais dans le déni. On faisait semblant d’apprendre pour ne pas décevoir les parents.
Je bricolais en anglais et conversais en Darija.
Le français était une langue démodée.
Je ne savais pas, ou plutôt je ne cherchais pas à savoir que le domaine dans lequel je voulais travailler n’utilise que la langue française.
Comme quelqu’un qui croit savoir nager. Qui se noie mais qui pense qu’il pourra toujours s’en sortir.

Je suis responsable.
Mais je ne suis pas la seule responsable.