Feuilles d’automne (10, 11 et 12)

L’automne est là, avec son vent qui fait frémir et ses couleurs qui adoucissent les paysages. Et cette année, il sera introduit à l’écosystème Connect Institute par des feuilles particulières, pleines de vie et d’idées à méditer. Des feuilles qui vous feront goûter à la quintessence d’œuvres de poètes, d’écrivains ou encore d’intellectuels. Feuilles d’automne est le dernier écrit de Taha Balafrej, fondateur de Connect Institute. Au nombre de 21, vous en découvrirez chaque semaine 3 feuilles sur cette newsletter. Prenez de quoi noter, installez vous confortablement, et laissez vous emporter par les pérégrinations intellectuelles d’un esprit original, avec en toile de fond le développement de la jeunesse marocaine.


10 Revenons en Amérique. Je me souviens avoir repéré dans la préface du livre How to read and why de l’auteur Américain Harold Bloom (1930-2019) des paroles de sagesse adressées aux Américains, et que nos jeunes gagneraient à ajouter à leur liste de sujets d’émerveillement : « There is no single way to read well, though there is a prime reason why we should read. Information is endlessly available to us; where shall wisdom be found? If you are fortunate, you encounter a particular teacher who can help, yet finally you are alone, going on without further mediation. Reading well is one of the great pleasures that solitude can afford you, because it is, at least in my experience, the most healing of pleasures. We read not only because we cannot know enough people, but because friendship is so vulnerable, so likely to diminish or disappear, overcome by space, time, imperfect sympathies, and all the sorrows of familial and passional life … Read deeply, not to believe, not to accept, not to contradict, but to learn to share in that one nature that writes and reads. »

11 Bien avant Bloom, j’appelle à la barre un autre Américain, Ralph Waldo Emerson (1803-1882). Emerson que j’ai appris à apprécier grâce au livre La vie ordinaire de Adèle Van Reeth, philosophe et animatrice de l’émission radio de France Culture qui m’accompagne durant tous mes voyages. Emerson qui prononça en 1837 à Harvard un discours historique. Un discours qui inspira la personnalité intellectuelle américaine en lui indiquant la voie de l’autonomie par rapport à la culture européenne : « La vie est notre dictionnaire. C’est bien employer ses années que de se consacrer aux travaux des champs; d’aller à la ville; d’apprendre à connaître de l’intérieur les métiers et les manufactures; d’avoir de francs rapports avec nombre d’hommes et de femmes; de faire de la science et de l’art; à la seule fin de maîtriser par l’intermédiaire de tous ces faits un langage qui illustrera nos perceptions et leur donnera corps. J’apprends immédiatement de quiconque combien il a déjà vécu par la pauvreté ou la splendeur de ses paroles. »

Je tiens à préciser que j’ai passé l’âge d’être obnubilé par quoi que ce soit. Mais j’ai le droit de réfléchir et d’analyser. Et de me poser des questions. Où sont nos Seth Godin, nos Harold Bloom, nos Emerson ?
Nous en avons eus. Loin dans le passé, malheureusement. Nous y étions, dans l’amour des livres. Nous y étions, dans la circulation des livres. Je dis Nous et je me rends compte que je patine, je glisse. C’est quoi au juste, Nous ?

12 J’ai fait des recherches cet été sur la place du livre et de la lecture dans le monde de l’islam. J’en dirai plus dans un autre article. Je me contente de mentionner cet érudit allemand du nom de Konrad Hirschler qui décortique la question de la lecture dans les terres arabophones de l’islam des débuts. Son livre The written word in the medieval arabic lands commence avec ces affirmations qui devraient aiguiser l’appétit des lecteurs : « Societies within the Islamic world, especially those in the belt stretching from al-Andalus in the west to Persia in the east, belonged in the medieval era to the world’s most bookish societies. The sheer number of works that existed – Ibn al-Nadīm in fourth/tenth-century Baghdad was already aware of several thousand titles – and the sophisticated division of labour for producing manuscripts, including author, copyist, ‘copy editor’ (muḥarrir), calligrapher, illustrator, cutter and binder bear witness to the central role of the written word. Reports on the lively manuscript markets, as well as on the countless individual legacies of manuscripts bequeathed to one’s children, colleagues or libraries suggest the extent to which the written word remained in constant circulation in these pre-print societies. At the same time, manuscript-books acquired, at least in some quarters, such outstanding prestige that scholars such as the towering figure of al-Jāḥiẓ, writing in the third/ninth century, could expend page upon page praising their excellence. This fascination with manuscripts, as well as their massive production and constant circulation, even led some medieval scholars to fear the ‘over-production’ of manuscript-books. »